III. Après 1945 : de nouveaux mots pour l'horreur et leur cadre juridique
 
A. Les conséquences humaines
 
1) Les libérés, témoins en difficultés
 
Suite à leur libération, les déportés, souvent très affaiblis physiquement, sont psychologiquement abattus. Ils sortent d'une vie affreuse qu'est celle de l'univers concentrationnaire nazi, pour être accueillis par une société qui ne les attendait pas. Comme le dit Charles Palant : "On a mis le pied sur le sol français [...] et là, une rapide visite médicale, une carte de rapatrié en papier buvard, c'est notre première pièce d'identité, nous, on avait rien [...] "
Les premiers jours sont difficiles en compagnie de leurs libérateurs, soldats qui n'ont aucune formation de psychothérapeute, à cette époque où le plan moral n'est de toutes façons que rarement traité dans les soins apportés aux personnes ayant subi un choc. Ainsi si leurs corps souffrent et ont des difficultés à se réadapter à la vie "normale", leurs esprits seront souvent encore plus longs à guérir, si l'on considère que l'on peut guérir d'une telle expérience.

Très vite, l'angoisse de ne pas arriver à s'exprimer s'empare d'eux. Ce sentiment les poursuivra dans la débâcle de leur rapatriement improvisé et jusque dans leurs maisons.
Dans certains cas, toutefois, les rescapés écrivent, livrent des témoignages ou se rassemblent, s'efforçant de dire leur volonté de témoigner.
 

"Sur ces lieux des crimes fascistes nous jurons, devant le monde entier, de poursuivre la lutte tant que le dernier des responsables n'aura pas été condamné par le tribunal de toutes les nations. [...]L'écrasement définitif du nazisme est notre but. Notre idéal est la construction d'un monde nouveau dans la paix et dans la liberté." Extraits du serment de Buchenwald du 19 avril 1945.
 

Mais c'est surtout l'incompréhension générale qui marquera ce moment de l'Histoire. Ceux qui sont restés, bien que très heureux de retrouver leurs amis ou parents, n'en ont pas moins continué à vivre loin du paroxysme des horreurs nazies, ils avaient vécu l'occupation et étaient désormais préoccupés par la nécessité de s'approvisionner lorsque tout manque. Il ne leur était pas possible d'imaginer la vérité des camps et malgré leur volonté, parfois, d'écouter, les hésitations des déportés, leurs propos incroyables les détournaient bientôt. Les survivants battirent en retraite à cette réaction et tentèrent de refermer leurs blessures, tout en regagnant leur place dans la société quand il ne leur restait plus rien : ni logement, ni travail.
 

Vous voudriez savoir
poser des questions
et vous ne savez quelles questions
et vous ne savez comment poser les questions
alors vous demandez
des choses simples
la faim
la peur
la mort

et nous ne savons pas répondre
nous ne savons pas répondre avec vos mots à vous

et nos mots à nous
vous ne les comprenez pas
alors vous demandez des choses plus simples
dites-nous par exemple
comment se passait une journée
c'est si long une journée
que vous n'auriez pas la patience
et quand nous répondons
vous ne savez pas comment passait une journée
et vous croyez que nous ne savons pas répondre

Charlotte Delbo,
rescapée d'Auschwitz,
Auschwitz et après III,
Mesure de nos jours,
Les Éditions de Minuit, 1971
 

Simone Veil raconte : "Nous ? Ce n'était même pas la peine d'essayer de parler : on nous coupait la parole ! On changeait de sujet. Certains [...] disaient "ah bon il y en a encore des juifs ? On croyait qu'ils étaient tous morts..." [...] Nous racontions des choses effroyables, nos proches voyaient dans quel état nous étions revenues  ; c'était insupportable."
 

"Pauvre petit ! Ce qu’il doit l'attendre. Un an d’angoisse et ce qu’il a dû en voir pour dire qu’il ne pourra pas arriver à le raconter ! Enfin, encore quelques semaines de patience et il sera près de vous. Il faut être très prudent à cause des épidémies et il sera suivi de très près afin de hâter sa guérison. C’est épouvantable ce que certains rapatriés racontent de leur séjour dans les camps boches." écrit Soeur Benoît Joseph en parlant d'un jeune rescapé.